Les artistes chinois trouvent un abri au CRP

11/05/2022

Après l'Arménie, c'est en Chine que le Centre Régional de la Photographie de Douchy les mines vous propose de voyager. Mais de quelle Chine exactement parle-t-on ? Le pays au plus de 9 millions de kilomètres carrés renferme plus de 1,4 milliard d'âmes, d'histoires, et autant de personnalités. C'est à travers quatre d'entre elles que l'exposition s'articule. De la notion d'appartenance sexuelle, à l'histoire des manifestations réprimées par l'incarcération, pour aller jusqu'aux barrières qui se dressent dans un jeu varié et coloré, et finir par ces chinois partis construire le rêve américain, tous ces thèmes ont trouvé un abri au CRP. L'exposition Bi Hu Suo donne un accent mandarin au CRP jusqu'au 7 août.

Nous vous expliquions dans un précédent article que la nouvelle dynamique du CRP exploite les bagages avec lesquels Audrey Hoareau a pris ses fonctions. En effet, c'est fort de son réseau et de ses précédentes expériences professionnelles, que celle qui est devenue directrice de la structure douchynoise en septembre 2021 pense et construit ses expositions. Dans le cas de Bi Hu Suo nous sommes dans la même méthode. Quand Audrey prononce le nom de l'exposition, on y entend un soin apporté à respecter le mandarin, une piste qui nous renseigne sur sa connaissance de la Chine, qu'elle confirme par ses propos : « j'ai contribué au lancement du musée de la photographie de Lianzhou en 2017 ». Connaissant le vivier d'artistes du pays, et les contraintes à exploiter certains thèmes, elle leur a proposé une exposition en France tel un abri, qui se dit « Bi Hu Suo » dans l'empire du milieu.


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Nous passons la porte de l'ancienne poste de Douchy pour arriver sur ce mur qui scinde la pièce, une contrainte architecturale qui est désormais exploitée pour y faire figurer un grand cliché, comme une introduction à l'ensemble qui va se révéler. Ici c'est une composition de Zhang Zhidong intitulée Ghost Image. L'artiste exilé à Boston est présenté comme un amateur de rébus, où chacun pourrait trouver des interprétations à ses compositions, Audrey Hoareau s'essaie à l'exercice : « on y voit ces deux hommes, presque à l'abri de la ville. Ou comme avoir de l'intimité dans une mégalopole? ». Une première découverte du travail de Zhang Zhidong, qui se décline ensuite dans une série où objets et personnes issues de son entourage proche sont dévoilées. Ces poses révèlent un humanisme presque androgyne, une universalité des êtres, loin des clichés sur la représentation et l'attribution des sexes.

Dans le coin opposé à Zhang Zhidong, c'est Wang Yingying et ses « petites histoires dans la grande histoire », selon la commissaire. C'est la douleur et son accompagnement qui sont les thèmes qui émergent dans son travail. Tout d'abord ce témoignage de cette tradition funéraire chinoise, où sont brûlés des représentations en papier des objets qui accompagnaient le vivant. Une tradition, qui même si elle aurait tendance à se perdre, a su suivre l'évolution de la société et ses mœurs. Ainsi aux objets du quotidien peuvent s'ajouter une véritable fausse voiture, ou un poste de télévision plus vrai que nature. Leur fumée qui s'élève vont rejoindre leur propriétaire. Le deuxième pan est consacré à ses parents, leur divorce qui était la résultante de l'emprisonnement du père suite à sa participation à des manifestations réprimées de la révolution culturelle. De longues années douloureuses, jusque la libération du condamné, qui laissent derrière elles le souvenir de plus belles années, comme immortalisées dans un portrait au fusain.

Le troisième angle de la salle principale s'intéresse au travail de Ye Wuji, qui en toute illégalité va dépasser les limites qui sont imposées. Nous sommes à la frontière avec le Kazakhstan qui est sous le feu des actualités avec le traitement infligé aux Ouïghour. Ici la population est recluse, ses rues sont barrées, on ne circule pas comme on le veut. Le gouvernement chinois y dispose de nombreuses barrières, et fait preuve d'une inventivité dans leurs formes et procédés. C'est ce mobilier urbain répressif qui a inspiré Ye Wuji, car de barrières ça n'a plus que le nom, tant les formes et les couleurs témoignent d'une cruelle inventivité. Et surtout, au delà de leur usage premier, ils sont devenus par la force des choses une part entière du quotidien. Le photographe les a référencés, catalogués, et a poussé l'absurde à les proposer lors d'un vote pour élire la barrière préférée. La gagnante fut même reproduite sur un timbre, une contrefaçon naturellement interdite, qui est présentée dans le cadre de l'exposition. Ce travail sur les barrières, Ye Wuji l'interroge avec sa portée dans le temps, et il y revient encore aujourd'hui, comme en témoigne une vidéo qui tourne à côté des clichés exposés.

Terminons le tour de cet abri de photographies par la pièce adjacente à la principale et les travaux de Zheng Andong. Nous ne sommes plus en Chine mais aux USA pour le coup, sur la piste d'immigrés venus construire le chemin de fer reliant les deux côtes du pays, un chantier qui contribua au développement des Etats-Unis. Une histoire méconnue que celle de ces travailleurs venus d'Asie, qui pour la plupart n'ont pas pu rester sur cette terre pour laquelle ils ont travaillé, et sur le coup d'une loi ont été expulsés à la fin de leur labeur. Ici c'est la rengaine des terres et des hommes qui est racontée, ce sol creusé pour y chercher de l'or, symbolisé pour l'exposition par des entrées de mine sortant littéralement du sol. Il y a aussi ce parallèle entre cette photo de Alfred A. Hart montrant un indien natif face à une vallée, et ce cliché pris au même endroit par Zheng Andong où il s'est mis en scène en habits de cow-boy. On y parle de cultures qui tentent de s'amalgamer, de racines qui prennent terre, comme à l'image de ces coquelicots venus de Chine et qui fleurissent encore aujourd'hui dans l'ouest américain. A noter que cette partie de l'exposition est agrémentée d'un stéréoscope, procédé du XIXe siècle qui permet de voir des clichés en reliefs, appareil qui est accompagné de reproduction de clichés d'époque.

De par ses thèmes et sa variété, Bi Hu Suo est un abri culturel comme seul la France et un lieu comme le CRP pouvaient proposer. Il y a un fort besoin d'exprimer certains sujets par les artistes chinois, au delà de leur pays. De nombreuses histoires qui reflètent la complexité de cette nation qui fut impériale. A voir jusqu'au 7 août 2022 à Douchy les mines.

X.V.


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